Headless, un passé composé.

Un arbre généalogique bien enraciné dans la Bretagne conservatrice du siècle dernier – avec un pied dans l’église, et l’autre dans l’extrême droite. Lorsqu’il découvre une boîte de négatifs chez sa tante décédée, les secrets de famille d’Erwan Venn font surface : sous couvert de chef de bonne famille rurale, papi était collabo et vendait, semble-t-il, du vin aux Allemands. Un lourd bagage que l’artiste tente de se réapproprier, de remodeler, en le faisant basculer vers la fiction. Comme si tout cela n’avait jamais existé, Venn développe les photos de ses aïeux et les bidouille sur Photoshop, s’échinant à faire disparaître les visages des uns et des autres. De ces montages où ne subsistent que des robes d’enfant de chœur sans enfant de chœur dedans, des habits de prêtres sans tête de prêtre dessus, des maillots de bain sans baigneur à l’intérieur, émane une nouvelle histoire, sur laquelle flotte une certaine poésie de l’absence. Sortes de souvenirs passés à la gomme, ses portraits fantomatiques viennent réaffirmer l’autorité d’Erwan Venn sur un passé dont il a hérité comme on hérite d’une allergie aux pistaches – sans qu’on lui ait demandé son avis.
Tania Brimson

Depuis 2011, je travaille sur un fond de négatifs photo d’un de mes grands-pères, marchand de vin dans l’est du Morbihan : Né en 1905, il rentre au petit séminaire pendant la guerre de 1914, quitte l’Église en 1926 pour reprendre l’affaire familiale de négoce de vin, devient sympathisant de Breiz atao, l’extrême droite Bretonne.
Je n’ai pas connu ce grand-père, qui meurt en 1969.

À la mort de sa sœur, une institutrice de l’École libre, j’ai récupéré une boîte Kodak datée de 1925 remplie de négatifs. J’ai longtemps laissé ces négatifs de côté, me contentant de les ranger dans un classeur pour les oublier. En juin 2011, l’un de mes cousins m’a apporté l’Ausweis de ce grand-père, autorisation de la Feldkommandantur du Morbihan daté du 30 juillet 1940, avec comme intitulé :

« Ravitaillement en vin. »

Ces 730 photographies recouvrent la période 1917 à 1960. L’ensemble, assez banal, représente beaucoup de scènes de la vie quotidienne, de tourisme, de portraits de famille, avec un vide entre fin 1943 et 1947. Ces images supportent plusieurs types de formats, de la carte postale à l’affiche 4 x 3 M. Au milieu des images de fêtes religieuses, de portraits de prêtres, il y a plusieurs photos de ce grand-père en jeune séminariste.

Depuis 2011, j’ai entrepris de retirer, par le biais d’un logiciel de retouche d’image, tous les corps de ces photos, pour regarder les vêtements, les gestes, les attitudes, les façons de se tenir assis, de croiser les bras, d’observer un lacet ou un bouton. Dans cette série, nous sommes contraints de regarder les détails. Sans les corps, les images deviennent fantasmatiques, presque irréelles.

Ce sont les fantômes qui vivent en moi ; en nous.
Erwan Venn

Henri Dorgères, 38 x 56 cm, impression numérique sur Dibond. Edition de 1 sur 3, 2013.

Georges-Philippe et Nathalie Vallois, Paris.
https://www.galerie-vallois.com/exposition/que-la-maree-vienne-et-memmene-plus-loin/

Photographies : © Aurélien Mole

France Culture
Aude Lavigne :
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-vignette-13-14/erwan-venn-2258700

Médiapart
Guillaume Lasserre :
https://blogs.mediapart.fr/guillaume-lasserre/blog/151121/une-famille-francais

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